Télérama, le 13 octobre
2007
On l’a peut-être croisée dans un couloir du
métro. Accent de l’Est et fichu sur la tête,
Stella fait la manche à la station -Oberkampf. Puis, dos
voûté, pas fatiguée, elle rejoint son bidonville
en banlieue parisienne. Une cabane-caravane bricolée sous
un pont, entre voie ferrée et autoroute, qu’elle
partage avec son mari, Marcel, et sa sœur, -Gabi. Stella
est venue de Roumanie pour faire soigner Marcel. Aujourd’hui,
Marcel va mieux. Maintenant, c’est Stella qui est épuisée.
Stella qui se sent usée, qui perd espoir d’un avenir
meilleur en France, où, sans papiers, elle est «
plus pauvre et misérable qu’en Roumanie ».
A travers des instantanés du quotidien saisis sans commentaires,
c’est d’abord la vie d’une immigrée,
entre précarité et clandestinité, espoir
et renoncement, que Vanina Vignal rend extrêmement concrète.
La toilette au seau d’eau, le séchoir à linge
sur la décharge, le quotidien âpre du bidonville.
Mais aussi, la couture avec les copines, un coup de brosse devant
le miroir, des éclats de rire pendant le cours d’apprentissage
du français… Avec le temps, à force d’observation
empathique et de confiance gagnée, la réalisatrice
parvient à donner une dimension plus large à son
-documentaire, film impressionniste qui -dépasse alors
la simple observation de la condition d’étranger
marginalisé. Car -Stella est aussi un portrait de femme.
Une femme « ordinaire » qui rêve. Qui soupire.
Qui espère. « Stelutsa », comme dit affectueusement
Marcel, y apparaît comme une amoureuse à la fougue
adolescente, prête à tout pour son homme. C’est
aussi l’histoire d’une Roumaine déboussolée
par la chute du communisme, mais qui n’a rien oublié
des horreurs de l’ère Ceausescu. Le destin d’une
ouvrière laissée sur le carreau, qui regrette l’usine
d’autrefois, même si elle y a laissé un doigt.
Comment ne pas s’attacher à Stella, si lasse et si
intense ? Et comment ne pas regarder autrement, alors, toutes
ces silhouettes anonymes croisées dans le métro
? Virginie Félix
Il était une fois le cinéma Au « Cinéma du réel », il est
question de films documentaires dont la vocation n’est pas
seulement télévisuelle, dans la mesure où
ils ne respectent pas nécessairement les standards des
grilles de programmes, où donc celles-ci ne déterminent
ni leur forme ni leur contenu. Ces films ont ainsi toute leur
place en salle de cinéma.
Aujourd’hui, Stella de Vanina Vignal. Le personnage éponyme
est sans-papiers, venue de Roumanie pour soigner la maladie de
son mari, devenue elle-même malade en France, vivant dans
une baraque sous l’autoroute et le RER. Pour survivre, elle
fait la manche dans Paris, ce que jamais elle ne fit dans son
pays. En attendant de pouvoir, finalement, repartir.
Ce qu’il y a de frappant dans ce film, c’est qu’il
parvient à voir par-delà la misère, qu’il
ne fait pas de celle-ci son sujet, mais une circonstance dans
une destinée singulière, tentant d’en disséquer
avec pudeur les circonstances particulières. L’écriture
et le montage fonctionnent en rétention d’informations
: on est tenu en suspens tout le long, jamais pourtant frustré
tant on s’attache à l’aventure humaine ici
contée. Les cadrages sont toujours à la distance
nécessaire au maintien de la dignité et de la force
de Stella, force triste mais souveraine. Film sans propos mais
impliqué (la réalisatrice va suivre le retour, via
un passeur, de son héroïne en Roumanie), Stella parvient
à relativiser les discours et regards tout faits sur des
personnes dont souvent on ignore tout. François-Joseph Botbol (Article
paru sur le site Il
était une fois le Cinéma)
ZIUA, 27 Octobre 2007
Le Festival International du Film Documentaire ASTRA Film de Sibiu
a suscité des débats controversés à
la recherche de « l’élément surprise ».
Quelle est la chance du documentaire dans un monde où le
refuge dans la fiction est une constante ? Qui cherche encore
des histoires vraies et surtout quelles sont les vérités
qui font naître des histoires?
A Sibiu, l’un des événements les plus importants
dans la Capitale Culturelle Européenne - et qui tente justement
de donner des réponses à ces questions - c’est
le Festival International du Film documentaire ASTRA Film. Une
foule de spectateurs a rempli cet automne des salles où
sont projetés des films documentaires. On peut y rencontrer
des personnalités venues du monde du film de fiction comme
de celui du documentaire. Parmi eux, pas mal de jeunes. A la fin
de chaque projection ont lieu des débats très vifs
qui montrent l’intérêt évident pour
ce genre de productions. Les films sont très bons, d’un
niveau bien plus élevé que lors des éditions
précédentes. Les membres du jury savent déjà
que leur mission va être des plus difficiles.
« Ce que nous cherchons dans le film documentaire c’est
l’ élément surprise » nous
avoue Michael Stewart, l’un des membres du jury, en précisant
que chaque documentaire doit être l’aboutissement
de la quête obsédante de l’auteur.
Deux des documentaires présentés jeudi et vendredi
en compétition dans la section Roumanie ont retenu l’attention :
« To be or not to be », réalisé
par Anca Damian, et « Stella », réalisé
par une Française, Vanina Vignal.
Vivante et séduisante par son naturel, c’est l’histoire
de Stella, une Roumaine arrivée en France juste après
la Révolution afin de sauver son mari gravement malade.
On trouve dans le film de Vanina Vignal tous les ressorts habituels
d’un film de fiction dont le sujet serait construit autour
d’un tel personnage. Avec la différence qu’ici,
chaque scène est vraie, et les personnages ont une consistance
particulière.
L’histoire d’amour qui pousse ces deux Roumains à
quitter leur pays pour la France nous touche par la sincérité
du récit. La femme qui mendie dans les bouches du métro,
la scène où la soeur de Stella danse sur une musique
de « manea » devant la porte ouverte de
la roulotte qui leur sert de maison, ou encore cette autre scène
où Stella et Marcel - son mari - parlent devant un hôpital
à propos « les miracles » de la médecine
Française, sont des séquences fortes de vérité.
A ce propos, la réalisatrice nous a avoué: « quand
j’ai commencé le film, je savais qu’il fallait
que je me donne le temps. Je crois que là se trouve le
secret. Je ne suis pas venue avec une idée bien définie,
un scénario à moi. Les premiers mois, je n’ai
rien mis sur papier, j’ai tout simplement filmé,
en cherchant l’angle le plus adapté aux trois facteurs
impliqués : moi, la caméra et Stella”.
Monica Andronescu Lire
l'article en roumain
Bonjour Bobigny
Afin de survivre, Stella mendie dans le métro parisien.
Le soir, cette Roumaine rentre dans un bidonville de la Plaine-Saint-Denis.
Les mots, les espoirs, les sourires, les batailles de Stella pour
soigner un mari malade, Vanina Vignal les a filmés. Un
premier documentaire tout en pudeur où la cinéaste
esquisse le portrait d’une femme solide et fragile à
la fois.
Soutenu à Bobigny dans le cadre du dispositif “cinéastes
en résidence” de Périphérie, Stella
commence son aventure sur grand écran au Cinéma
du Réel. Mariam Diop
Le réseau des médiathèques
de Plaine commune - web de la planète ovale ,
« Stella, entre Bucarest et Saint-Denis »,
par Vanina Vignal
A quand une politique constructive et
surtout imaginative ? Stella est Roumaine, elle a 49 ans. Après une
vie de travail dans les usines socialistes roumaines, je l’ai
rencontrée, et filmée, au "Hanul", un
bidonville de la Plaine St-Denis situé sous l’A86,
le long des rails du RER D. Avec son mari Tzigane Roumain, elle
y a vécu plus de cinq années. Pour survivre, elle
mendiait dans le métro parisien, assise en bas des marches
de la station Oberkampf. L’hôpital de la Pitié-Salpêtrière
fut l’un des rares lieux où elle eut un contact direct
avec la société française : elle s’y
est fait soigner les dents, préservant par là-même
sa dignité, malgré tout.
Qui est Stella ? Pourquoi est-elle venue en France ? Qu’a-t-elle
laissé en Roumanie ? Comment s’est-elle adaptée
à la vie dans un bidonville ? Comment a-t-elle pris la
décision d'aller mendier ? Quelles sont ses attentes, ses
projets... ses rêves ? C’est parce que je me posais
ces questions que j’ai décidé d’en faire
un film. Un film sur ces personnes invisibles, auprès desquelles
nous passons, jour après jour, dans l’indifférence.
Je me suis immergée dans la réalité de Stella
et des siens, prenant le temps nécessaire pour être
en mesure de la traduire en images sans céder au folklore
ou au sensationnel. Un an et demie à la filmer au plus
près, en espérant donner une occasion au futur spectateur
de se mettre à sa place, un peu.
Avec Stella, Marcel, Gabi, et tous les autres, j’ai enfin
compris un paradoxe de taille : pour une majorité de personnes
issues de la classe ouvrière roumaine - jadis portée
aux nues et sur-assistée par le régime - le passage
brutal à la démocratie fut synonyme d’une
chute vertigineuse. Bien malgré elles, ces personnes sont
« entrées en démocratie » sans mode
d’emploi, sans accompagnement ni explication. Soudainement
confrontées au libéralisme politique et économique,
elles ont eu le sentiment d’évoluer dans une société
qui n’a plus besoin d’elles, ce qui les a amenées,
parfois, à regretter la sécurité du régime
d’antan.
Avant de rencontrer Stella, je jugeais ces personnes, souvent
aperçues à la télévision - elles ne
devaient pas avoir beaucoup d’outils intellectuels, on ne
pouvait raisonnablement pas regretter une dictature… Après
avoir rencontré Stella, je les ai enfin comprises.
Jusqu’en 1989, Stella passait chaque été ses
vacances à la mer noire. Jusqu’en 1989, elle était
inscrite dans un système qui la prenait en charge, un système
qui prenait tout en charge. Etre un maillon dans un système
bancal valait mieux qu’être l’électron
libre qu’elle est devenue, perdu dans ce vaste monde sans
protections.
Aujourd’hui, après avoir dormi dans son bidonville,
je comprends enfin d’où elle parle. Avec Stella j’ai
pu approcher ce mythe du mendiant de l'Est, pour mieux le déconstruire.
Si Stella et Marcel sont arrivés en France c'est d'abord
pour des raisons de santé. Ils n’avaient pas les
moyens de faire face aux dépenses « parallèles
», indispensables si l’on veut espérer être
correctement soigné dans le système hospitalier
roumain. Grâce à l'Aide Médicale d'Etat française
et après trois grosses opérations les médecins
ont sauvé la vie de Marcel.
A l’instar de tant d’autres immigrés économiques,
Stella s’est alors mise à rêver d’une
vie meilleure en France. Seulement, malgré toute l’énergie
déployée, ils n’ont jamais obtenu de papiers
et ils ont encore moins trouvé du travail, officiel comme
au noir : les habitants des bidonvilles font peur, personne ne
veut s’y frotter.
Lorsque j’ai fait sa connaissance, Stella était très
déprimée par cette situation qu’elle n’aurait
jamais imaginée : « je ne veux plus être la
poubelle des français, tout espoir est mort en moi ».
Je l’ai finalement accompagnée dans le cheminement
intellectuel qui l’a amenée, petit à petit,
à prendre la difficile décision du retour au pays.
Pour accepter cette idée-là, Stella s’est
inventé des conditions rêvées de retour :
Marcel récupèrerait sa retraite, elle obtiendrait
une pension pour raisons médicales (les courants d’air
du métro ont eu raison de sa santé, elle a été
opérée d’une double hernie discale), et ils
vivraient enfin heureux dans le petit deux pièces qu’ils
avaient quittés pour une caravane française. Mon
film se termine à Braïla, lorsqu’elle retrouve
sa réalité, sa famille, son appartement, ses souvenirs.
Seulement les choses n’ont pas encore radicalement changé
en Roumanie et la maigre retraite de Marcel - 40 euros par mois
- ne suffit toujours pas. Ils ont un toit et sont imbriqués
dans un tissu social, certes, mais pas de travail pour Stella,
donc toujours pas d’argent pour vivre. Alors, après
un an et demie de vie en Roumanie, Stella est revenue en France.
Son pays est entré dans l'espace communautaire Européen,
et elle s’est mise à rêver de droit au travail.
Elle a oublié les années d’humiliation, oublié
la dure réalité des bidonvilles, et elle ne pouvait
certainement pas imaginer que l'entrée de son pays dans
l'Europe ne signifierait pas nécessairement libre circulation
des travailleurs - il y a des restrictions, les Polonais en savent
quelque chose.
Stella a cherché ce travail auquel elle avait enfin droit.
Elle ne l’a toujours pas trouvé. En attendant…
Stella mendie dans le métro Parisien. Après le cheminement
intérieur qu’elle a accompli, après la réflexion
qu’elle a menée sur son parcours, j’enrage
quand je l’imagine assise en bas des marches, de nouveau.
Depuis que j’évolue dans les bidonvilles, depuis
que notre président a fait ses classes comme ministre de
l’intérieur, l’hypocrisie est à son
comble. L'état français fait rarement face lorsqu’il
s’agit d’immigration de personnes non qualifiées.
Il est plus simple et confortable d’accueillir les immigrés
diplômés. Les gouvernements successifs se contentent
d'expulser les Roumains par charters entiers. Aucune aide à
l’intégration dans cette France qui manque pourtant
de « bras », aucune coopération avec le gouvernement
roumain pour tenter de traiter l’origine de cette immigration.
J’ai vu partir les expulsés et je les ai vus revenir.
Alors à quand une politique constructive et surtout imaginative
? Vanina Vignal